Numéro 23, défenseure droitière de Keswick, en Ontario… Erin Ambrose.
Voici la personne avec qui je suis constamment en compétition. Celle que je dois dépasser.
J’ai toujours été l’enfant qui joue au hockey, et même dans mes souvenirs les plus lointains, je me rappelle avoir craint que les autres ne voient que ça. Les gens me voient-ils comme Erin Ambrose, la joueuse de hockey, la fille dont la vie tourne autour du hockey?
Déjà, de telles réflexions peuvent avoir un impact profond sur soi, mais imaginez comment on se sent lorsqu’on a l’impression de ne pas être assez bonne dans la seule chose pour laquelle on est connu.
Je me suis souvent demandé : « À quoi bon? Qui suis-je vraiment si je n’arrive même pas à être celle que les autres voient en moi? » Ce sont les sentiments qui m’ont envahie après ma libération de la centralisation olympique en novembre 2017. Tandis que ces pensées défilent dans mon esprit, il faut que je me rappelle que je suis en terrain familier et que j’ai déjà gagné cette bataille. Je me suis prouvé que je suis plus forte que je ne l’aurais jamais imaginé. Je sais que je ne m’enfoncerai plus dans ce trou profond. Et je sais que je suis BEAUCOUP plus qu’une joueuse de hockey.
)Pour bon nombre de Canadiens, 2010 a été une année exceptionnelle pour le hockey. C’était l’année des Olympiques en sol canadien, d’une double récolte de l’or pour nos équipes féminine et masculine, et l’une des périodes charnières de mon parcours au hockey. Je faisais partie des Jr. Aeros de Toronto dans la Provincial Women’s Hockey League. J’avais été nommée à Équipe Canada en vue de mon premier Championnat mondial féminin des M18 de l’IIHF et je suis rentrée de Chicago avec une médaille d’or au cou. Je me préparais à décider à quelle université j’irais.
Mais rien de tout cela ne m’apportait toute la joie à laquelle je me serais attendue en tant que joueuse de 16 ans qui cherche à réaliser ses rêves au hockey. Malgré les réussites excitantes qui s’enchaînaient, je ressentais toujours ce même vide énorme en moi. Le hockey se voulait ma façon d’échapper à tout ce qui se passait chez moi et, heureusement, j’avais des coéquipières qui se souciaient réellement de mon bien-être. Ma capitaine à l’époque est devenue une personne sur qui je pouvais compter alors que je tentais de passer le moins de temps possible à la maison. Ceux qui me connaissent savent que j’accorde énormément d’importance à la famille, donc le fait que j’évitais de rentrer chez moi aurait dû sonner l’alarme.
Au fil de la saison de hockey, j’ai continué à avoir de la difficulté à me sentir heureuse de manière générale et à « me trouver ». J’ai changé d’école et j’ai emménagé avec une coéquipière (l’une de mes meilleures amies) dans l’espoir de tourner la page, de sortir de ma prison intérieure et de recommencer à profiter de mon adolescence. J’étais en quête d’un bonheur véritable et je voulais échapper au vide qui m’écrasait chaque jour. Je me sentais plus éloignée que jamais de ma famille, je remettais en question mon désir de faire partie de Hockey Canada et, surtout, il y avait des jours où je ne savais plus que faire de mon avenir. Je me demandais si j’avais encore le goût de vivre.
J’ai fini par me confier à ma mère et à ma sœur pour leur faire part de ce que je ressentais et de comment ça m’affectait. Ça a été tout un soulagement. Elles m’ont rassurée en me disant que c’était normal et que je n’avais pas à vivre cette épreuve seule. J’ai appris que ma famille avait un historique de dépression et d’anxiété. J’ai parlé de mes craintes à mon médecin, des idées noires qui m’assaillaient constamment et de mon inquiétude quant à mon bien-être, et nous avons pu établir un plan d’action pour la suite. Même si je me bats régulièrement contre mon anxiété, je suis fière d’avoir fait des progrès dans ma capacité à gérer les hauts et les bas.
Pour arriver à faire la paix avec moi-même, il y a certains aspects de ma vie que je devais apprendre à apprécier et à accepter. Il y avait notamment la question de mon orientation sexuelle que je dissimulais depuis des années. Le stress de toujours me demander si j’allais être acceptée a nui à mon bien-être. Mais ma famille m’a soutenue dans toutes mes démarches, et de toute évidence, les membres de ma famille m’aiment pour qui je suis, ça ne fait absolument aucun doute. C’est une réalité qui suscite beaucoup de réactions différentes, et ce serait naïf de prétendre que ça ne m’a pas affectée ou que je n’ai pas pensé qu’il serait peut-être plus simple de tout refouler et de cacher mon identité. Par contre, ça ne me rend pas heureuse d’agir ainsi, et ça ne pourrait jamais être le cas. Malgré toutes les difficultés que j’ai eues à m’accepter et à vivre en respectant mon identité, je peux vous dire, de tout cœur, en tant que membre de la communauté LGBTQ+, que ça VAUT le coup d’être soi-même en d’en être FIÈRE.
J’aimerais pouvoir sauter immédiatement à l’automne 2017 et vous dire comment ces défis m’ont préparée à me remettre de la plus grande déception de ma vie – ma libération de la centralisation olympique. Ce que je ne savais pas, c’est que les années qui mèneraient à ce moment allaient être de véritables montagnes russes remplies d’expériences et d’épreuves où les nombreux hauts ont été accompagnés d’autant de bas, de revirements et de rechutes.
Attachez bien vos ceintures, c’est parti. En 2012, j’ai accepté avec joie une bourse d’étudiant-athlète de l’Université Clarkson. Placée en probation scolaire après un semestre seulement, je souffrais d’un trouble de l’alimentation dont je refusais d’admettre l’existence et je continuais d’utiliser le hockey comme échappatoire. Toute ma vie semblait dérailler à grande vitesse, mais sur la glace, j’excellais. Alors, j’ai ignoré mes problèmes. Du moins, j’essayais de le faire. Mais mes priorités n’étaient pas au bon endroit et je n’étais pas satisfaite de moi-même. Je ne comprenais pas pourquoi j’étais si malheureuse dans ma vie malgré mon succès au hockey.
À la fin de ma troisième année, j’étais de retour sur la bonne voie à l’école, mais j’étais misérable. Pour la première fois de ma vie, le hockey n’arrivait plus à venir à mon secours. J’ai passé l’année seule à faire une profonde introspection. Aussi pénible fut cette période, c’est quelque chose que je me devais de faire depuis longtemps. J’ai renoué avec ceux qui m’aimaient comme personne, et non seulement comme joueuse de hockey. J’ai misé beaucoup sur ma famille et je me suis efforcée d’accorder davantage d’importance à mes proches à la maison. J’ai tâché d’être plus présente dans la vie de mes colocataires et j’étais beaucoup plus heureuse en compagnie de mes coéquipières, même si j’étais insatisfaite de ma situation au hockey.
La vérité est que le hockey avait toujours été mon refuge, puis on me l’a enlevé. Dès lors, je sentais que je n’avais plus cet abri, et mon anxiété s’est accentuée au point de mener à une série de crises. J’ai commencé à écrire davantage, à m’isoler et à tenter de m’exprimer d’autres manières, prête à tout pour trouver une réponse. Je suis quelqu’un qui carbure aux routines (elles m’aident à réduire mon anxiété et à gérer mes hauts et mes bas au quotidien), et quand j’ai perdu ma routine au hockey – et ultimement, mon plaisir d’être à l’aréna –, ça a tout bouleversé, et j’ai fait de grands efforts pour me concentrer sur les autres pour ignorer mes pensées et mes émotions. Lorsque je me perds moi-même, je me jette dans le bonheur des autres. C’est quelque chose qui est et qui sera toujours important à mes yeux, même si ça nuit parfois à mon état d’esprit.
À l’approche de la fin de ma quatrième année et du début de ma vie postuniversitaire au printemps de 2016, j’avais encore d’énormes problèmes d’anxiété quotidiennement, même si j’étais plus en paix avec moi-même. Tandis que je continuais mon combat pour m’extirper du trou noir de ma dépression, mon anxiété s’est décuplée en raison de l’inconnu qui se dressait devant moi. L’anxiété n’est pas quelque chose qu’on peut simplement mettre de côté le matin pour traverser la journée. Il y a différents éléments déclencheurs pour chacun et d’innombrables niveaux d’anxiété. Je me suis rendu compte que mes crises survenaient lorsque je n’étais pas en contrôle. Les foules, les lieux inconnus et l’incertitude m’étouffaient, surtout lorsque je n’étais pas avec des personnes qui comprenaient ce qui déclenchait mon anxiété. Ma peur de me trouver seule en public a pris le dessus et m’a vraiment nui dans mes efforts pour retrouver ma zone de confort et ma confiance à l’aréna.
Puis, j’ai dû faire face à un inconnu sans précédent, le plus gros défi dans ma carrière au hockey. Je suis déménagée à Calgary en août 2017 pour la centralisation à Hockey Canada dans l’espoir d’être nommée à l’équipe olympique féminine du Canada pour les Jeux de PyeongChang en 2018. Chaque jour, je consignais soigneusement dans un journal tous les événements importants de la journée. Ça m’aidait immensément à gérer le stress et l’anxiété que je ressentais.
À vrai dire, ça a été l’une des années les plus difficiles de ma vie. Je me suis présentée pour la centralisation en mauvaise forme physique et j’ai eu à faire du rattrapage et de la préparation physique supplémentaire (ce qui haussait mon stress). Chaque jour, il fallait performer, peu importe notre état mental ou physique (ce qui haussait mon stress). Comprenez-moi bien, la centralisation a été une expérience incroyable pour laquelle je suis extrêmement reconnaissante. Mais comme athlète centralisée pour la première fois, j’ignorais totalement comment gérer mon anxiété et j’avais du mal à trouver un équilibre. Je parlais régulièrement à notre entraîneuse en préparation mentale et à notre médecin – je sentais que mon anxiété devenait un poids insupportable.
Mais ce n’était pas le moment de soigner ma santé mentale. Ma priorité était de jouer au hockey et d’aller aux Olympiques.
Le 20 novembre 2017. Je peux vous raconter toute cette journée dans ses moindres détails. C’est la journée où j’ai été libérée et renvoyée chez moi. Mon rêve de participer aux Olympiques a pris fin, tout bêtement. Pour moi, c’était la fin du monde. Je me souviens que Mel Davidson, notre directrice générale, m’a demandé si ça allait. Ça n’allait évidemment pas, mais je savais qu’elle s’inquiétait de mon état d’esprit, ce qui était tout à fait légitime. La nouvelle m’a atterrée. J’ignorais comment j’allais pouvoir l’annoncer à ma famille. J’avais l’impression de l’avoir laissée tomber. Le temps d’une journée, j’ai perdu la chance d’être avec mes coéquipières, mes plus proches amies, et mon but ultime d’aller aux Olympiques s’est envolé.
Tout a basculé en un clin d’œil, et j’ai remis en question tout mon avenir. Ça peut sembler exagéré, mais je ne souhaiterais jamais la douleur que j’ai ressentie à mon pire ennemi. La douleur de savoir que tous les efforts d’une vie entière, que la personne que l’on croit être aux yeux des autres, vous sont dérobés si rapidement. Face à ma douleur, j’ai pris la décision difficile de refaire ma vie à Montréal. Je sentais que je devais fuir et m’extirper de la noirceur. Surtout, je devais y parvenir par moi-même. C’est exactement ce que j’ai fait.
Ce qui me rend d’autant plus fière est que je n’ai jamais été aussi bien avec moi-même. J’éprouve encore des difficultés, d’énormes difficultés même, à trouver le bonheur au quotidien. Mais j’ai appris et je continue d’apprendre à m’accepter comme je suis. Oui, je porte le numéro 23. Oui, je suis droitière. Oui, je suis défenseure. Mais j’ai aussi le cœur sur la main, je me soucie des autres autour de moi et je prône le respect et la loyauté. Je suis empathique. Je n’ai pas peur du ridicule. Je suis compétitive. Je suis forte.
Ah oui, je joue au hockey, aussi.
P.-S. Je n’ai pas la prétention d’être une experte en matière d’anxiété et de dépression. Mais je veux que les gens sachent que tout le monde peut éprouver des difficultés. Ma mère, ma sœur et ma grand-mère sont mes inspirations; non seulement elles ont fait leur chemin dans la vie, mais elles ont réussi toutes leurs entreprises avec un succès RETENTISSANT tout en menant cette bataille. Je combats l’anxiété et la dépression chaque jour, et ce, en croyant et en sachant que je suis plus qu’Erin Ambrose, la joueuse de hockey. Donc, peu importe qui vous êtes, ce que vous faites, sachez que votre identité ne s’arrête pas à votre profession. Vous êtes à votre place, vous êtes incroyable et vous ferez encore mieux demain.
À propos de l’auteure
Erin Ambrose a fait ses débuts avec l’équipe nationale féminine des moins de 18 ans du Canada en août 2015 à l’âge de 15 ans et demeure la plus jeune joueuse à avoir pris part au programme des M18, en plus d’être la meilleure pointeuse de tous les temps de ce programme parmi les défenseures. Sa carrière internationale compte 81 matchs à tous les paliers du Programme national féminin du Canada, deux médailles d’or et une médaille d’argent au Championnat mondial féminin des M18 de l’IIHF, ainsi qu’une médaille d’argent et une médaille de bronze au Championnat mondial féminin de l’IIHF. Elle a également remporté l’or à deux reprises avec Ontario Rouge au Championnat national féminin des moins de 18 ans en 2009 et en 2011, de même que l’argent aux Jeux d’hiver du Canada 2011.