Vous ne le sentez peut-être pas encore, mais ça s’en vient. Bientôt, vous serez plongé dedans, enseveli, et même si les nombreuses complications sont de plus en plus complexes dans notre vaste monde où les opinions sont bien ancrées et les préoccupations analysées sous tous les angles, la transparence n’est pas difficile à adopter, car ceci est une chose, un événement, un moment précis présenté en un seul endroit : les Olympiques.
Par le passé, le Canada est entré dans le stade hôte un peu comme un garçon ou une fille inhabilement vêtus, mais les gilets et bonnets sont choses du passé. Au lieu de cela, nous nous avançons aux côtés des géants traditionnels des Jeux – les Allemands, les Russes et les Américains – après qu’une nouvelle époque a vu le jour à Salt Lake City avant d’imprégner notre vécu à Vancouver en 2010.
Ceci est d’autant plus vrai pour notre équipe de hockey, négligée au cours des années 70, constamment deuxième dans les années 80 et 90, et victorieuse lors de deux des quatre derniers Jeux. Il s’agit d’un géant à l’intérieur d’un géant, un imposant pilier auquel – n’en déplaise aux lugeurs et aux danseurs sur glace – toutes les autres compétitions et tous les autres compétiteurs seront comparés. Terminer au premier rang des nations au compte des médailles serait un exploit, mais personne n’en parlera si Équipe Canada termine neuvième (au hockey).
Cependant, dans la victoire comme dans la défaite, le sentiment qui nous habite avant la première mise au jeu est le même; cette impression que quelque chose de grand et d’important – bon ou mauvais, selon vos convictions politiques, votre point de vue – est sur le point de se produire. Nous avons déjà noirci nos agendas et tablettes : la Norvège d’abord, plus tard la Finlande, et après, les éliminatoires. Des invitations ont été lancées à des amis – « Où allons-nous regarder le match? » – et des rendez-vous ont été reportés. De futurs mariés se sont fait taquiner – « Il fallait que tu te maries aujourd’hui n’est-ce pas? » – et certains bars ont déjà reçu l’autorisation d’ouvrir leurs portes plus tôt – vraiment plus tôt s’ils se situent en Colombie-Britannique. Cette année, les habitants de Terre-Neuve-et-Labrador pourront faire la fête – la plupart des matchs seront présentés à 13 h 30 –; je m’imagine déjà les rues : des hommes et des femmes dansant avec les lampadaires si le Canada devait triompher en finale.
Mais ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Malgré le résultat probable des matchs soi-disant faciles en début de calendrier, les Canadiens seront rivés à leur écran, café, bière et boisson gazeuse à la main, l’estomac noué, la gorge sèche. Les matchs serrés créent un ralentissement de l’économie, mais nous sommes prêts à payer le prix.
Le Canada est une puissance redoutable, armé d’avants talentueux et de défenseurs de l’élite. Profondeur, profondeur, profondeur. La Russie, défiante, attend chez elle, affirmant qu’elle a appris du dénouement embarrassant survenu à Vancouver. Les Suédois se comparent aux Canadiens en ce qui a trait aux habiletés et les Finlandais ont Tuukka Rask, sublime devant le filet. La confrérie américaine est inébranlable, son jeu intelligent, et les Tchèques jouent très bien en Europe.
Avant chaque Jeux olympiques, nous croyons savoir qui va gagner (« le Canada, évidemment! »), mais personne ne le sait vraiment. C’est là une autre raison pour laquelle les Olympiques – pour lesquels il n’existe pas de saison pour classer les équipes – sont si fascinants à regarder. Chaque match est exactement ça, fascinant. Chaque jeu, un présage du suivant. Les tirs sont aussi précieux que des diamants et les buts valent leur pesant d’or. Nous respirons pendant les pauses publicitaires, et encore...
Lors des derniers Jeux, mes enfants ont entendu leur grand-père blasphémer pour la première fois. J’ai suivi les Jeux de Nagano chez un ami, puis après les Olympiques, nous nous sommes rarement vus (il a déménagé depuis, alors c’est réglé). Pendant le match pour la médaille d’or à Salt Lake City, ma fille de deux ans – une enfant enjouée et sociable – s’est réfugiée dans les bras de sa mère, perturbée par la tension énorme du monde adulte. Pendant les Jeux de Turin, nous avons suivi l’action entassés dans le bar d’un ami. Le bar n’existe plus, mais mon ami est maintenant propriétaire de la Junction Craft Brewery à Toronto, alors la semaine prochaine mon foie sera mis à rude épreuve. Et que dire des Jeux où des hockeyeurs amateurs ont représenté le Canada au sein d’équipes formées de joueurs comme Burke, Sherven et Harvey.
À Calgary en 88, nous avons tenté de faire des miracles avec une formation qui, quelques semaines plus tôt, avait battu les Russes en Russie au tournoi Izvestia, mais ça n’a pas fonctionné. À Albertville et Lillehammer, nous sommes passés près – très près –, mais pas plus. Malgré tout cela, à cause de ce qui s’était produit ici et là, le temps s’est arrêté, les routines ont été modifiées. Nous avons été prisonniers du sport qui, comme ravisseur, n’a pas d’égal.
Une image d’Équipe Canada à Nagano qui perdure est celle des joueurs arrivant par train dans la petite ville japonaise. Les caméras les attendaient sur le quai à leur sortie du train alors qu’ils avaient leur tuque enfoncée sur la tête et leur sac sur l’épaule comme des jeunes qui prennent une année de congé. Un grand nombre de lentilles étaient braquées sur eux alors qu’ils étaient ébahis par l’étrange tableau de la vie dans un pays étranger, figés, il semble, par ce qui se déroulait devant eux et incertains de ce qui les attendait. Une autre image inoubliable est apparue plus tard : Gretzky cloué au banc, laissé de côté lors des tirs de barrage. Mais ne parlons pas de ça. Parlons plutôt de se rendre là, d’arriver, de commencer avant que la frénésie s’installe, que la guerre des nerfs commence de sorte que les expressions deviennent inutiles, les mots absurdes.
Ça ne saurait tarder.