La résilience, c’est réussir à se relever rapidement après les coups durs.
Toutes les grandes équipes se heurtent à des obstacles sur le chemin de la
gloire, mais rares sont celles qui les surmontent avec autant d’aisance que
l’équipe nationale féminine du Canada.
Qu’importe la pandémie, les annulations, le confinement et tout le reste,
l’équipe canadienne 2021-2022 s’est redressée encore et encore, résolue à
atteindre les sommets à sa façon.
Après une saison interrompue par la COVID-19, 2021 annonçait un retour à la
normale avec le Championnat mondial féminin de l’IIHF, qui devait avoir
lieu en avril à Halifax et Truro – mais coup de théâtre! Le gouvernement
néo-écossais a retiré son appui à l’évènement deux semaines avant que la
rondelle ne touche la glace, citant une recrudescence pandémique.
« Nous étions préparées à jouer jusqu’au dernier moment », se remémore
Blayre Turnbull. Ayant grandi à Stellarton, elle était l’une des deux
Néo-Écossaises de l’équipe. « Alors évidemment, la déception était à son
comble, mais je crois que nous en sommes sorties encore plus soudées de
cette épreuve. Nous nous sentions d’autant plus chanceuses de pouvoir
participer aux camps et aux tournois qui nous attendaient, et de passer du
temps à jouer ensemble. »
Leur capacité d’adaptation et leur ouverture d’esprit leur ont permis de
tirer leur épingle du jeu pendant la bulle l’été dernier, alors que le
Mondial féminin se dessinait pour août, à Calgary. Loin des partisans et de
leurs proches, elles se sont rapprochées entre elles, tandis que leurs
efforts sur la glace commençaient à payer.
Sarah Fillier, qui a terminé son premier championnat mondial avec trois
buts et trois aides, se souvient de l’adaptation aux gradins vides : «
Quand on a la chance de porter ce chandail, on pense à nos proches qui nous
regarderont jouer sur la scène internationale.
« Notre équipe s’est transformée en famille, et nous nous sommes efforcées
de nous habituer à cette situation inédite. Heureusement, nous étions
vraiment complices. »
Le Canada n’avait pas remporté le Mondial féminin depuis 2012. Les
États-Unis avaient décroché le titre les cinq années précédentes, dont
quatre fois aux dépens des Canadiennes. Animée par la rage de vaincre,
Équipe Canada avait juré de leur reprendre le trône en gagnant à domicile.
Les Canadiennes ont gagné notre cœur à Calgary avec 34 buts en sept matchs
et autant de victoires. L’esprit d’équipe et la fébrilité pour la reprise
du hockey féminin étaient au rendez-vous. Sourires, embrassades et
célébrations de buts ponctuaient des victoires clairement méritées : 5-1
contre la Russie, 5-0 contre la Suisse et 5-1 contre les États-Unis (le
triomphe le plus éclatant du Canada depuis 2017 contre son grand rival).
Elles ont toutefois gardé le meilleur pour la fin. Particulièrement serré,
le match pour la médaille d’or s’est conclu en prolongation, le Canada
comblant d’abord un retard de deux buts accusé tôt dans la rencontre.
L’issue de ce duel a été décidée par deux des joueuses les plus chevronnées
qui ont uni leurs efforts pour clore le débat.
Fortes d’une expérience combinée de 25 ans au sein d’Équipe Canada, Brianne
Jenner et Marie-Philip Poulin ont foncé, pendant un 3 contre 3. Un tandem
qui avait maintes fois fait ses preuves.
La suite est bien connue.
Ce moment historique allait bien au-delà de la médaille d’or. Il a marqué
le retour au hockey, pas seulement pour Équipe Canada, mais aussi pour tous
nos compatriotes qui s’apprêtaient à remettre les patins dans les semaines
suivantes, après une saison 2020-2021 perdue en quelque sorte.
Ce titre mondial n’était que le commencement. Médailles d’or au cou, les
filles n’ont pris qu’une semaine pour célébrer leur victoire, les yeux tout
de suite rivés sur leur prochain objectif : remporter les Jeux olympiques
d’hiver de 2022.
« Je pense que tout le monde s’est réjoui de pouvoir sortir de la pandémie
et participer au Mondial. C’était une chance extraordinaire, s’exprime
l’entraîneur-chef Troy Ryan. Mais voir nos efforts d’adaptation et le
travail acharné des joueuses récompensé comme ça… nous savions qu’elles
allaient garder la même énergie jusqu’aux Jeux olympiques. »
Avec tous les obstacles qu’il restait à franchir, l’engagement de l’équipe
était vital. Le stress qu’engendre la pandémie et la formation d’une équipe
olympique peuvent décourager les plus aguerries.
Nous avons enchaîné les téléconférences et les messages de groupe, autant
de conversations sur les priorités de l’équipe et sur la manière de
profiter au mieux du camp d’entraînement et du confinement à l’hôtel. Nous
voulions vraiment préserver l’enthousiasme des joueuses et faire savoir à
tout le monde que nous étions prêtes à jouer et à gagner en dépit des
difficultés, raconte Turnbull. Et je crois qu’au moment où nous avons lacé
les patins, nous étions convaincues d’être inarrêtables.
La saison a commencé en septembre, avec la centralisation de 29 athlètes à
Calgary. Les filles ont affronté des équipes de la Ligue de hockey de la
Colombie-Britannique et de la Ligue de hockey junior de l’Alberta, de même
que les États-Unis dans le cadre de la Série de la rivalité. Elles sont
aussi parties jouer une série de trois matchs contre la Finlande pour se
préparer en vue des Jeux.
« Nous nous sommes tellement déplacées pour jouer… c’est beaucoup de
fatigue », explique Turnbull, qui a manqué le début de la saison à cause
d’une blessure à la cheville subie dans l’empilade après le but décisif de
Poulin en prolongation lors du championnat mondial. « Nous sommes parties
de Calgary vers la Finlande, puis à Toronto et à Kingston, et enfin à
Ottawa. Nous avons passé une bonne partie de la saison en déplacement. »
Ces voyages les ont d’autant plus mises à risque de contracter la COVID-19,
sans parler des affrontements rapprochés et du stress lié aux libérations
au sein de la formation de la centralisation en vue des Jeux de Beijing.
Pour Poulin, le mérite revient principalement à la directrice des activités
hockey Gina Kingsbury et à la Dre Tina Atkinson, la médecin de
l’équipe, qui s’est occupée de la logistique sanitaire pendant que l’équipe
se concentrait sur la rondelle. « Franchement, je ne sais pas si elles ont
réussi à dormir l’année dernière!, compatit Poulin. Travailler avec Gina et
la Doc était fantastique. Elles nous tenaient au courant de ce qui se
passait, toujours en contrôle de la situation. Notre groupe était vraiment
adaptable et résilient. »
La pandémie réservait encore une mauvaise surprise à l’équipe. Un peu plus
d’un mois avant le départ pour Beijing, elle a dû écourter son voyage aux
États-Unis de fin décembre et annuler la dernière étape de la Série de la
rivalité, au moment où la composition finale de la formation olympique
devait être annoncée.
« Les derniers jours de l’année ont probablement été les plus stressants,
après la sélection de l’équipe, se remémore Turnbull. Nous nous entraînions
à Calgary en janvier, en espérant arriver en équipe aux Jeux de Beijing,
mais nous savions à quel point les trois à quatre semaines qui nous
attendaient seraient difficiles. »
Après quelques semaines d’entraînement supplémentaires à huis clos à
Calgary, parfois le masque au visage (une habitude qui a bien servi les
joueuses contre le Comité olympique russe à Beijing), les 23 athlètes
olympiques (dont dix allaient participer à leurs premiers Jeux olympiques)
se sont envolées pour la Chine avec une mission en tête : une deuxième
médaille d’or.
L’équipe qui avait brillé à Calgary en a remis à Beijing.
Une fois de plus, le Canada n’a subi aucun revers. À ses premiers Jeux
olympiques, Claire Thompson a établi un nouveau record olympique de points
marqués par une défenseure. Sarah Nurse, elle, a battu le record du nombre
d’aides et celui du nombre de points en une édition des Jeux olympiques.
« Ce que nous avons adoré, c’est que même si on savait qu’on allait compter
des buts, on ne pouvait jamais prédire qui allait les marquer », confie
Ryan, entraîneur adjoint de l’équipe de 2018, qui avait obtenu la médaille
d’argent. « Même chose en défense. Jocelyne Larocque et Renata Fast
n’étaient pas les seules à s’imposer. C’était une affaire d’équipe.
« Des joueuses ont battu des records individuels, et on aurait dit qu’elles
s’en rendaient à peine compte. Elles ne se sont pas laissées distraire. Une
tape dans la main, un sourire en coin et c’est reparti. J’ai trouvé ça
génial. »
Une fois de plus, le destin a décidé que le Canada disputerait la médaille
d’or contre son rival de toujours.
Nurse et Poulin ont marqué en première période, puis Poulin a remis ça au
milieu du deuxième engagement. Et malgré un effort désespéré en fin de
partie, les Américaines n’ont pu renverser la vapeur. Poulin a marqué le
but décisif de cette cinquième conquête de l’or au cours des six dernières
finales, devenant ainsi la première personne de l’histoire du hockey
(masculin et féminin) à marquer dans quatre finales olympiques
consécutives.
« Je me souviens que j’étais sur le banc à faire le décompte, et que je me
suis immédiatement mise à pleurer quand le match s’est terminé, se remémore
Fillier. J’étais sans voix pendant au moins 24 heures, incapable de dire
comment cette médaille d’or m’était arrivée dans les mains. »
L’explosion de pleurs et d’embrassades ne venait pas célébrer qu’une
victoire olympique de plus, mais tous les obstacles que l’équipe a dû
surmonter pour y arriver, les efforts enfin récompensés.
« C’est la meilleure équipe de hockey dont j’ai fait partie dans ma vie,
affirme Turnbull. Et je ne parle même pas des nouveaux records que nous
avons établis à Beijing. Je parle juste du nombre incroyable de souvenirs
en commun avec mes coéquipières et l’équipe au grand complet. »
Entre la rotation du personnel, les nouvelles formations, les annulations
et la pandémie, l’équipe nationale féminine du Canada a navigué une période
des plus difficiles, remportant malgré tout les plus prestigieux honneurs
du hockey. À sa façon.
« Nous avons commencé à faire les choses à notre façon, et nous avons
continué sur cette lancée, confie Poulin. Nous sommes restées soudées. Les
filles et moi n’avons eu qu’à faire confiance au plan des entraîneurs et de
la DG. Suivre leurs directions, faire de notre mieux, rester résilientes,
se donner à fond… sans oublier d’avoir du plaisir! »