La COVID-19 a changé ma vie… de la meilleure façon qu’il soit. Étrange, je
sais.
Ma famille et mes amis connaissaient mon orientation sexuelle avant le
début de la pandémie. Mais dans le brouhaha de mon quotidien, j’étais trop
occupé pour révéler des choses sérieuses, et je me disais que j’allais
gérer ça plus tard. J’avais peur de mélanger ma vie personnelle et ma vie
professionnelle.
Mais quand la pandémie est entrée dans nos vies, je suis retourné à la
maison à Victoria. Le monde s’est arrêté, comme ma vie telle que je la
connaissais. Mon téléphone ne sonnait plus. Ma boîte courriel ne se
remplissait plus. Toutes ces choses qui me tenaient occupé étaient mises de
côté. Ça m’a donné la chance de prendre du recul et de parler franchement.
Je me souviens de ma discussion avec Tyson Barrie, un de mes clients et bon
ami avec qui j’ai grandi ensemble sur l’île de Vancouver. Je lui ai dit : «
Tu sais quoi, je pense que je suis prêt à dévoiler mon orientation
sexuelle. »
Je me disais que je ferais simplement une publication sur Instagram, rien
de compliqué. Mais Tyson et d’autres personnes importantes dans ma vie
pensaient que je devrais viser un plus grand impact. Que je pourrais
devenir le visage de la communauté queer au hockey, car notre sport en
avait grandement besoin.
C’était le point de départ de mon aventure. J’ai commencé à dévoiler mon
orientation à d’autres, à des figures importantes du hockey que j’ai
croisées sur mon chemin au fil des ans. Quand je l’ai dit à Connor McDavid,
sa réponse a été simplement : « D’accord, ça ne change rien pour moi. »
J’ai reçu un texto de Sidney Crosby, qui m’a félicité et qui m’a dit qu’il
était là si j’avais besoin de quoi que ce soit.
Le 5 novembre 2020, par le truchement d’un article de Pierre Lebrun sur le
site The Athletic, j’ai dévoilé mon orientation sexuelle
publiquement.
Sans minimiser l’importance de cette décision pour ma santé mentale, je
peux dire que cette nouvelle n’a pas vraiment changé grand-chose pour
personne. La perception de la communauté du hockey à mon égard est demeurée
la même. Les gens m’ont plutôt dit : « Hé! Tu es Bayne. Tu ne portes pas de
jugement sur les autres quant à leurs fréquentations ou à leurs attirances.
Alors pourquoi te jugerait-on? »
J’ai fait mes débuts à Hockey Canada à titre de stagiaire au sein du
service des finances en 2009 (je ne suis pas vraiment un spécialiste des
chiffres, mais c’était le seul poste offert à l’époque). Par la suite, en
2011, je me suis joint au service des activités hockey. Ma première
affectation a été le Mondial junior 2012 en Alberta. J’ai fait le tour du
monde avec Équipe Canada, j’ai vécu ces émotions grisantes des conquêtes de
l’or aux Jeux olympiques, au Championnat mondial de l’IIHF et au Mondial
junior. Et j’ai côtoyé la crème de la crème du hockey, les Doug Armstrong,
Jon Cooper, McDavid et Crosby. J’ai quitté Hockey Canada en 2019 pour
devenir agent certifié de l’AJLNH au sein de l’agence CAA (Creative Artist
Agency) à Toronto. J’y ai trouvé ma place au hockey, mon havre de bonheur.
Cependant, j’avais toujours cette peur intérieure de ne pas pouvoir
m’épanouir pleinement – être accepté en tant qu’homme gai – tout en
réussissant sur le plan professionnel en tant que jeune agent. Cette crainte
m’avait réduit au silence pendant longtemps.
Et je devais chasser cette peur. On pense toujours que les pires choses vont
nous arriver, c’est la nature humaine, n’est-ce pas? On pense qu’après
l’avoir dit à quelqu’un, cette personne va nous rejeter. Qu’on ne sera pas
accepté, que le monde du hockey va nous mettre de côté.
Mais ce n’est pas ce qui est arrivé.
Quand j’y repense, je me demande pourquoi ça m’a rendu si anxieux. C’est ce
qui me pousse à aider les personnes qui communiquent avec moi et qui
craignent d’être rejetées si elles affirment qui elles sont vraiment.
Tellement de gens partout sur la planète et dans le monde du hockey m’ont
dit : « C’est merveilleux. Tu vas accomplir de grandes choses. » C’est
incroyable, tout le soutien que j’ai reçu de mes amis, de mes proches et
même de purs étrangers.
Et jamais je n’aurais pensé devenir le visage de la communauté queer au
hockey. Mais depuis que j’ai fait ce pas en avant et que des gens sont
entrés en contact avec moi pour échanger sur le sujet, je suis ravi d’en
parler. Je crois que c’est important, il faut occuper cet espace, et ce
n’est pas tout le monde qui a la chance d’avoir une plateforme pour
s’exprimer publiquement.
C’est l’une des raisons pourquoi j’ai contribué au lancement d’
Alphabet Sports Collective
(ASC) en mars. Nous sommes un organisme à but non lucratif dirigé par des
personnes queers qui vise à valoriser les jeunes queers. Je travaille de
concert avec mon coprésident, Brock McGillis, de même qu’avec les
ambassadeurs Gord Miller, Jon Cooper, Morgan Rielly et l’ambassadrice Tessa
Bonhomme, et le soutien qu’on a eu a été magistral.
Nous voulons que les personnes de notre communauté se sentent bien dans
leur peau. Et que si elles veulent travailler à Hockey Canada ou au sein
d’une agence de sport, ou jouer dans la LNH, elles aient ces modèles, ces
alliés. Je pense vraiment que si on n’a jamais vu quelqu’un accomplir
quelque chose sous nos yeux, on ne peut pas croire en nos chances de le
faire nous-même.
Je collabore maintenant avec Hockey Canada au sein de son équipe de travail
sur l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI), ce qui me donne le
sentiment de boucler la boucle avec l’organisation. C’est vraiment une
belle expérience. Je pense que c’est important que toutes les sphères de
notre sport soient représentées.
Pour moi, la clé, c’est de faire preuve de vulnérabilité. Hockey Canada
doit être à l’écoute et ne pas supposer qu’elle a réponse à tout. On peut
rédiger toutes les politiques et tenir tous les séminaires qu’on veut… mais
on doit s’attarder à la base du hockey. Il faut écouter les gens de la
communauté; il y a des groupes de personnes qui ont accompli du travail de
leur côté et qui comprennent les tenants et les aboutissants de certains
problèmes. Il n’est pas nécessaire de réinventer la roue – on doit écouter
et apprendre.
Je suis vraiment fier que Hockey Canada ait formé ce nouveau groupe et que
l’organisation prenne des notes au lieu de s’empresser à publier une
déclaration. N’importe qui peut publier une déclaration. Il faut apprendre
et instaurer de nouvelles procédures et formations pour veiller à ne pas
tourner en rond et simplement cocher une case. C’est l’objectif.
Alors maintenant, c’est le temps de la question à un million de dollars –
quelle sera la suite des choses?
La clé, c’est la représentation. Il faut que la communauté queer se sente
acceptée et bien à propos d’elle-même, qu’elle fasse partie de la
communauté dans son ensemble, qu’elle se joigne à des conseils
d’administration, à Hockey Canada, dans la LNH et au hockey mineur, qu’elle
figure parmi les membres du personnel entraîneur et soignant. Que cette
représentation atteigne le plus haut de l’échelle, que cette voix et cette
perspective résonnent dans les bureaux de direction, c’est l’objectif
ultime. Chaque communauté doit être représentée… les personnes de couleur,
de diverses communautés religieuses, de la communauté queer. Parce que
c’est ça, le Canada. Si on veut un conseil d’administration à l’image de
notre pays, une personne queer doit en faire partie.
Je veux qu’on se fasse entendre, engager un dialogue avec les gens, les
informer et les sensibiliser. Ce n’est pas tout le monde qui va changer
d’idée, mais ce n’est pas ce qu’on essaie de faire. On veut juste dire que
les droits de la personne, l’égalité, les célébrations, on les veut pour
les personnes queers aussi.
Je trouve que le sport est à la remorque de la société. Si je travaillais
dans une banque, je n’aurais pas vraiment besoin de dévoiler mon
orientation sexuelle. C’est un sujet qui attire l’attention au hockey,
parce que ce n’est pas commun. C’est un sport macho, où on doit refouler
nos émotions. On joue au hockey pour le logo devant, pas pour le nom dans
le dos. On joue au hockey pour le logo devant, On doit laisser nos
problèmes à la porte du vestiaire – c’est comme ça que j’ai grandi dans le
monde des sports d’équipe.
Mais je pense qu’avec les événements qui ont fait les manchettes récemment
au sujet des soirées de la Fierté, on a un peu fait tomber ces tabous et
laissé place à des conversations honnêtes. On a fait comprendre que le
milieu n’est pas encore sain pour tout le monde, qu’il y a encore de
l’intolérance.
La plus récente nouvelle à ce sujet, selon laquelle les joueurs des équipes
de la LNH ne porteront plus de chandails spéciaux lors de certains
avant-matchs en appui à diverses causes, est vraiment décevante. Personne
ne semble vouloir porter attention aux quelque 700 joueurs qui ont appuyé
notre cause et porté le chandail de la Fierté la saison dernière; le point
de mire est sur le minuscule groupe qui a refusé de le faire. Les soirées
de la Fierté (sans oublier Le hockey pour vaincre le cancer et les
initiatives pour appuyer les militaires et les Autochtones) ont été des
succès partout dans la ligue. C’est une triste décision.
Cela dit, je suis persuadé qu’une vague de changement pointe devant nous,
et ça commence avec nos jeunes.
Je dirige une équipe de hockey mineur de M14 à Toronto. Quand je leur ai
dévoilé mon orientation, personne n’a bronché. Ça n’a rien changé pour eux.
Quand je l’ai appris à certains de mes jeunes clients, ils m’ont dit : « Si
ça te rend heureux, je suis content pour toi. »
Compréhension, compassion, indifférence totale (mais d’une façon positive)
sont des mots qui caractérisent les réactions des jeunes d’aujourd’hui à
l’égard de l’orientation sexuelle d’autrui. Bien des gens semblent avoir
une mauvaise opinion de la génération Y – qu’elle passe son temps à jouer à
des jeux vidéo, qu’elle est lâche. On se plaît à observer ces jeunes et à
se dire que dans notre temps, ça ne se passait pas comme ça. Mais la
prochaine génération est si ouverte d’esprit et dans l’acceptation que je
trouve notre avenir très prometteur. Je pense que sur les plans de la
diversité et de l’inclusion, notre société est entre bonnes mains avec la
jeunesse d’aujourd’hui.
Pour conclure, je veux que les personnes qui vivent des difficultés sachent
qu’elles ne sont pas seules. Il existe des ressources et des gens qui sont
disponibles pour nous aider à nous sentir acceptés. C’est dans la nature
humaine de ne voir que le côté négatif, mais plusieurs d’entre nous
essaient de faire tomber les barrières pour que les personnes queers se
sentent à l’aise de travailler dans le monde du sport ou d’y jouer en accord
avec leur véritable identité.
« Jamais je ne voudrais être exclu du sport que j’adore en raison de mon
orientation sexuelle. Pendant un moment, j’ai pensé que ce serait le cas,
mais c’est le contraire qui s’est passé. »
Qui l’eût cru? Le monde du hockey, ce sport malsain, n’est peut-être pas si
malsain que ça après tout.