Kim St-Pierre est assise sur son divan, à Châteauguay. Nous sommes en février 1998, au beau milieu de la nuit, et sa mère veut qu’elle regarde un match de hockey qui se déroule à l’autre bout du monde, à Nagano, au Japon. C’est l’équipe nationale du Canada qui affronte les États-Unis lors du tout premier match pour la médaille d’or olympique en hockey féminin.
« J’ignore pourquoi, raconte St-Pierre, mais j’ai eu une vision, un pressentiment qu’un jour – je ne savais pas comment, car c’était si loin de ma portée – je porterais ce chandail spécial. J’aurais vraiment aimé qu’elles raflent l’or, mais c’est à ce moment que j’ai exprimé à ma mère le souhait de représenter mon pays. »
Elle a finalement revêtu l’unifolié 83 fois entre 1998 et 2011, remportant trois médailles d’or olympiques ainsi que cinq médailles d’or et quatre d’argent au Championnat mondial féminin de l’IIHF. Elle a compilé une fiche de 64-10, une moyenne de buts alloués de 1,17, un pourcentage d’arrêts de 0,939 et 29 jeux blancs. Elle se classe au premier rang des gardiennes de but canadiennes pour le nombre de parties jouées, de victoires et de jeux blancs.
En 2021, elle est devenue la première gardienne de but – et la huitième femme – à être intronisée au Temple de la renommée du hockey.
La carrière historique de St-Pierre a commencé comme celle de tant de joueuses et de joueurs canadiens : en jouant dans la rue en été, sur la patinoire de la cour en hiver et en ayant des frères aînés qui lui demandent de garder les buts.
« Je suis tombée en amour avec le hockey. » Elle a demandé à ses parents de l’inscrire dans une ligue organisée. « Au début, ce n’était pas évident pour eux : le hockey féminin n’était pas un sport olympique, il n’y avait même pas d’Équipe Canada, bref, pas grand-chose pour inciter un parent à inscrire sa fille au hockey. Mais ils aimaient ma passion. »
Son père, André, a joué à un haut niveau, ayant même été repêché par les Rangers de New York. Sa connaissance du monde du hockey a rassuré tout le monde lorsque Kim est passée du patinage artistique au hockey.
Elle a d’abord joué en tant qu’avant. Mais un jour, son entraîneur est arrivé dans le vestiaire avec un équipement de gardienne de but. Attirée malgré elle par l’attirail brun et défraîchi, St-Pierre s’est vite proposée pour l’enfiler. Sa mère, Louise, pensait peut-être que sa fille avait perdu la raison ce jour-là, mais elle l’a quand même aidée à mettre l’équipement.
Une séance d’entraînement est devenue un match. Toutefois, ce match n’a pas été extraordinaire, et St-Pierre sait que ses parents auraient pu lui suggérer de redevenir une joueuse. « Mais ils ont vu à quel point j’étais déçue. Je crois que c’était une bonne leçon de vie de continuer et de travailler plus fort pour pouvoir remporter mon premier match en tant que cerbère. Nous n’avons jamais regardé derrière nous par la suite. Je leur suis reconnaissante de m’avoir aidée et guidée. Je suis devenue une gardienne de but. »
St-Pierre idolâtrait Patrick Roy et rêvait de jouer pour les Canadiens de Montréal. Elle pratiquait plusieurs sports – dont le tennis, le soccer et la balle rapide – et voulait participer aux Jeux olympiques dans n’importe quelle discipline sauf le hockey, car ce sport était le seul qui n’avait pas de volet féminin aux Jeux. Ces deux rêves l’ont poussée à jouer au hockey avec des garçons pendant toute son adolescence.
« J’étais avant tout passionnée par le hockey. Ça m’importait peu d’être la seule fille. Les gardiens de but sont particuliers, ils portent un équipement différent. Pour moi, c’était déjà un moyen de me démarquer. Je jouais parce que j’adorais ça, pas parce que je voulais être une pionnière. »
En 1998, les jours de St-Pierre dans le hockey organisé semblaient tirer à leur fin. Elle avait conclu sa carrière junior et n’avait jamais pu percer l’alignement d’Équipe Québec pour les championnats nationaux féminins. « J’étais prête à abandonner, car rien ne se dessinait devant moi. »
C’est alors que Dan Madden, le directeur général de l’équipe féminine des Martlets de l’Université McGill, lui a donné l’occasion de participer aux essais de l’institution montréalaise. Ayant maintes fois été retranchée d’Équipe Québec, St-Pierre n’était pas très chaude à l’idée de jouer au hockey féminin. Mais après avoir parlé à son père et rendu visite à l’équipe, elle était convaincue d’être à sa place. « Cette décision a changé ma vie. J’ai pu jouer au hockey, et la même année, j’ai reçu une invitation pour participer aux essais d’Équipe Canada. Mais surtout, c’est là que j’ai rencontré mon mari [ Lenny Jo Goudreau], avec qui j’ai eu deux garçons [Liam et Ayden]. Aller à McGill m’a ouvert beaucoup de portes. »
St-Pierre a joué cinq saisons pour McGill. À sa dernière année, elle devenue la première femme à remporter un match de hockey universitaire masculin. À la fin de son parcours avec les Martlets, elle avait établi 60 records pour les gardiennes de but. En 103 matchs, elle a enregistré 27 blanchissages et une moyenne de buts alloués de 2,13. Elle a également remporté une médaille d’argent et deux de bronze au championnat national.
(Et elle s’est enfin taillé une place dans l’alignement d’Équipe Québec. Elle a gagné l’or au Championnat national féminin Esso en 1999 et en 2002, où elle a été nommée Joueuse par excellence, et l’argent en 2000 et 2001, où elle a été sacrée Meilleure gardienne de but.)
Danièle Sauvageau était l’une des entraîneuses qui devaient toujours dire à St-Pierre qu’elle n’était pas prête pour la formation provinciale. Elle était également l’entraîneuse de l’équipe nationale féminine du Canada qui se préparait pour les Jeux olympiques de 2002 et la femme qui a invité St-Pierre à son premier camp de l’équipe nationale en 1998. Elle avait vu la cerbère à l’œuvre à Châteauguay. « La plupart du temps qu’elle était devant le filet, elle jouait un rôle important », souligne Sauvageau. Or, pour une raison quelconque, elle n’était pas à la hauteur lors des camps. Mais clairement le potentiel était là. Elle avait seulement besoin de plus de temps pour se prouver, ce que lui offrait le camp national.
En préparation pour les Jeux olympiques d’hiver de 2002, Sauvageau voulait que ses jeunes gardiennes de but gagnent en expérience. C’est ainsi qu’en 2001, St-Pierre a obtenu son premier départ devant la cage du Canada au Championnat mondial féminin de l’IIHF.
« C’est là que ses qualités impondérables sont entrées en jeu, comme son calme et son sang-froid, indique Sauvageau. Parfois, derrière le banc, nous avions la certitude que nous venions d’accorder un but. Puis une mitaine surgissait de nulle part. Nous nous demandions comment elle avait pu arrêter ça! Elle voulait gagner à tout prix et arrêtait toutes les rondelles de toutes les manières possibles. Elle fut la meilleure gardienne et la meilleure joueuse de ce championnat mondial. » St-Pierre inspirait la confiance auprès de ses coéquipières. « Nous savions qu’elle allait tout faire pour stopper les tirs, et ça nous a donné l’élan dont nous avions besoin pour passer à travers ces tournois en 2001 et 2002. Tout ça a commencé avec cette grande victoire en avril 2001. »
C’est en 2002 que St-Pierre a réalisé son rêve de devenir une athlète olympique. On se rappelle que le Canada avait perdu ses huit matchs précédents contre les États-Unis. Lors du match pour la médaille d’or contre ses rivales de toujours, le Canada a ouvert la marque tôt, et St-Pierre a effectué deux gros arrêts en première période. Puis les Canadiennes ont écopé de huit punitions de suite.
« Quand tu joues en infériorité numérique pendant 26 minutes, mais que tu as Kim St-Pierre comme dernier rempart, tu vas t’en tirer, confie Sauvageau. Tu le sens, tu le sais. Même si nous avions perdu huit parties de suite, c’était notre match le plus important. Et nous pouvions compter sur notre joueuse la plus importante. Tout comme on construit une pyramide à partir de la base, on construit une équipe gagnante jusqu’à un match pour la médaille d’or à partir de la gardienne de but, et Kim a été aussi solide qu’en 2001. Tout le monde était calme sur le banc. »
Le Canada l’a emporté 3-2. St-Pierre a été nommée Meilleure gardienne de but et a fait partie de l’équipe des étoiles du tournoi. « Pendant les dix dernières secondes du match – qui ont duré deux minutes dans ma tête! – j’avais vraiment hâte que les filles viennent célébrer avec moi ce que nous venions d’accomplir ensemble », se rappelle St-Pierre.
Chaque année au sein d’Équipe Canada était différente, mais chacune a forgé chez la portière des souvenirs impérissables. L’accueil de vétéranes comme Cassie Campbell, Thérèse Brisson et Vicky Sunohara. Les trois cycles de centralisation, qui lui ont donné le sentiment d’être une joueuse de hockey professionnel. Disputer les Jeux olympiques à la maison, sous les encouragements de sa famille et de ses amis. En apprendre davantage sur elle-même même quand elle ne jouait pas, comme ce fut le cas lors du match pour la médaille d’or olympique en 2006. « L’attitude que j’ai adoptée alors que je n’étais pas la partante est l’une de mes plus grandes fiertés. »
Grâce à la conquête de la Coupe Clarkson avec les Stars de Montréal en 2009, St-Pierre a complété le tour du chapeau des championnats les plus prestigieux du hockey féminin. Elle a soulevé le trophée une deuxième fois en 2011, en plus d’avoir été nommée Gardienne de but de l’année à chacune de ses trois saisons dans la Ligue canadienne de hockey féminin.
Pourquoi était-elle une si bonne gardienne de but?
« D’abord, son calme, analyse Danièle Sauvageau. Ensuite, sa capacité à lire la situation, à l’analyser, puis à y réagir. » Selon l’entraîneuse, St-Pierre faisait peu de cas des systèmes. « Mais elle pouvait anticiper pratiquement tout ce qui allait se passer et faire le mouvement qui s’imposait. »
Depuis plusieurs années, St-Pierre travaille pour BOKS, un programme d’activité physique gratuit visant à faire bouger les enfants. Elle prévoit continuer à promouvoir le hockey féminin – en racontant son histoire dans l’espoir d’inspirer de jeunes filles –, mais aussi la participation à tous les sports.
L’Ordre du hockey au Canada célèbre les personnes ayant apporté une contribution extraordinaire au hockey. Pour Kim St-Pierre, il s’agit d’une nouvelle plateforme où elle peut encourager la prochaine génération et remercier celles et ceux qui ont rendu ce moment possible.
« Je veux profiter de cette occasion pour montrer que quand on croit en son rêve, on peut le réaliser. Je tiens à remercier tout le monde qui a contribué à mes réussites et m’a permis de représenter le Canada pendant toutes ces années. »
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Jeremy Knight
Responsable, communications organisationnelles
Hockey Canada
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